Mexico// La Piel de la banqueta

La Piel de la Banqueta

      Mexico, ce lac d’antan, espace prolifique d’images et source d’inspiration de tant de récits, est le point de départ de « La peau du trottoir ». Peut-être est-ce grâce au talent de Carlos Fuentes que la capitale mexicaine s’affranchit de la notion d’espace et acquiert pour la première fois dans la littérature l’identité d’un organisme, qui respire et qui parle.

Ce souffle de vie quasi volcanique a fasciné Raphaël Chipault, Gilles Gerbaud et Laurence Vidil lors de leurs séjours répétés au Mexique. Leur regard détourne les codes visuels de l’ethnologie, de la géologie et de la topographie pour révéler le sensible dans l’urbain.

Toujours vivante, Mexico est aujourd’hui, comme toute grande ville, en constante mutation. Parfois guidée par des projets de développement urbain et social, elle avance surtout au rythme d’un modèle chaotique typique de la modernité latino-américaine, dont les catalyseurs sont l’improvisation et la collaboration spontanée entre ses habitants. 

L’urbain tend à se définir par le béton, ou plus largement par la circulation accélérée de multiples acteurs aux allées et venues incessantes. Les artères saturées aux heures de pointe, les soupirs résignés face aux heures supplémentaires imposées, créent des vibrations venant se réverbérer sur la chaussée, qu’il s’agisse de la rue ou du trottoir. 

Comme la peau, le trottoir a des cicatrices. L’empreinte est la preuve la plus évidente du passage de la vie, la cicatrice, l’aboutissement d’une expérience, d’une fracture. Bien sûr, il s’agit dans les deux cas de traces de battements, de lacérations, de coupures, d’écorchures ou de brûlures. Celles-ci constituent une sorte d’instantanéité prolongée, déclenchant parfois une violente prise de conscience. 

 L’exploration artistique du Tiers Visible s’assimile à des mouvements d’aller-retour entre le centre et la périphérie, à la recherche de la moindre marque de circulation: sur les marchés, les ronds-points, les places publiques, les grilles d’immeubles ou les trottoirs. 

Leur collecte d’images, de sons, d’objets et d’idées nous conduit sur les chemins iconoclastes de la beauté. Leur curiosité sans borne alimente leur capacité d’étonnement face au banal et la remise en question de l’évidence. À travers un paysage palimpseste de sept années de voyages à Mexico, ce trio d’artistes nous offre une expérience immersive à la mémoire fragmentée, dévoilant des liens insoupçonnés, voire déroutants.

Poètes, graphistes, universitaires, architectes, militant.e.s, mécaniciens et tant d’autres rencontres, les complices de cette aventure sont nombreux.ses. Le dernier volet du voyage a été amplement nourri par les vulcanizadoras, ces ateliers brûlants de réparation de pneus, disséminés dans toute la ville, telles des taches de rousseur. 

Là, à l’angle du Río Churubusco et de l’Eje 5, tout près de la Central de Abastos, le Tiers Visible a installé sa base. Les mécaniciens du site, habitués à l’immédiateté, ont pleinement accueilli cette proposition d’exploration à domicile. 

En définitive, ces échoppes ne sont pas le plus beau reflet de la capitale. Elles sont néanmoins un rouage essentiel de la circulation, peu importe le manque de ressources. Les soins qu’ils prodiguent aux camions de marchandises prolongent la vie de ces engins à bout de souffle. Au milieu de la graisse et de la crasse, dans un environnement assourdissant, la vulcanizadora est un lieu d’espoir et de conciliation entre la modernité écrasante qui en laisse un bon nombre de côté, et le désir de continuer à avancer, même avec des rustines, même avec des illusions perdues. 

Loin d’une esthétique de la pauvreté, le propos du Tiers Visible n’est ni un sermon, ni une analyse sociologique. Ce qui prédomine ici, c’est la logique de l’atelier : un dialogue continu avec la réalité et ses acteurs, reflétant l’évolution du point de vue communautaire. 

Ingrid Arriaga

Institut culturel du Mexique

En relation avec ce projet un texte de Joëlle Zask a été édité par la revue PALM du Jeu de Paume: ici

Et sur le site de la Galerie Françoise Paviot: ici